Le cheminement du monde sous le regard de Dieu

par Denis EMORINE

Le monde poétique de Flavia Cosma est parsemé de fées, d’oiseaux qui sillonnent l’espace en tous sens, de végétaux protecteurs ou non. Dieu y est omniprésent voire omniscient. On y côtoie le réel et le merveilleux sans qu’aucune frontière ne sépare ces deux dimensions pourtant antagonistes. C’est un monde de petite fille qui aurait grandi trop vite et serait devenue adulte malgré elle. Le rêve surgit à la demande pour mieux vous égarer peut-être et engendre la nostalgie d’un ordre naturel mystérieux:

« Prends-moi par la main, rêve fragile
Donne-moi à boire la boisson qui fait tant de bien,
Regarde-moi avec des yeux liquides
comme ceux d’un chien »

La personnification joue un rôle important dans cet univers où le lecteur se sent à la fois en terrain familier et dans une dimension onirique où il pourrait perdre pied facilement. La poétesse évolue souvent dans un rêve éveillé où le sommeil est inséparable de la vie « L’ESPRIT sommeille sur le rivage; « matins monotones / que je traversais en sommeillant ». Même l’amour se nourrit de cette torpeur apparente: « Je ne peux t’aimer autrement que/dans mon sommeil »… La poésie de Flavia Cosma –et c’est là son originalité- agit comme un philtre puissant sur le lecteur. Ce monde énigmatique est à déchiffrer. Il est souvent emblématique d’une dimension où l’homme ne prend son envol que « dans les bras de Dieu le père ». Harmonieux mais « incompris le monde paraît plus grand » sans être oppressant. Contradiction apparente sans doute mais où le syncrétisme trouve sa place. Pourtant, l’angoisse suinte parfois au détour d’un vers; notamment celle de la mort.

Pour Flavia Cosma, la mort fait partie de la vie dans la mesure où elle prend parfois l’apparence d’un simple hommage adressé à l’être humain par la création tout entière. Ainsi lors de la mort du poète, la nature est à son chevet:

« Quand le poète se meurt,
La vague de mer s’immobilise,
Ecaille de pierre sur l’épine dorsale du monde.
La feuille s’écoule,
Une larme de sang,
Sur la muraille de la forteresse. »

Il y a ainsi une sorte d’apaisement suprême puisque

« Son âme demeure encore un peu
sur la crête des montagnes,
Comme une prière au coucher du soleil,
Comme une malédiction. »

C’est là une politesse, une permission ultime faite de retenue et de respect non sans une contradiction inhérente à l’être humain puisque la prière cohabite avec la malédiction.
Ne nous méprenons pas, le monde de Flavia est une véritable cosmogonie où chaque être vivant, chaque végétal, chaque minéral même, trouve sa place. La poétesse se fait ici démiurge. Certes, « La petite fille qui aurait grandi trop vit e » ne se réduit pas à cette définition parcellaire. Il y a, chez cette poétesse, des rivages qu’elle seule connaît et dont elle est la magicienne incarnée.

« Mais je veux inscrire
Sur la feuille blanche
Qui m’a été destinée
Des pensées inaccessibles à la poussière stellaire,
Des murmures rêvés seulement par moi,
Des jours différents, importants,
Mes matins à moi sur le calendrier. »

La poésie, sa poésie, est ici miroir de son être, reflet d’un instant volatil qu’il faut inscrire de toute éternité. Il s’agit bien d’une mythologie au sens fort. Peut-on également parler de mysticisme? Sans doute. Même si, parfois, la vie se révèle décevante, Flavia Cosma sait la transfigurer.
Pour elle, il semble que la poésie favorise la Grâce exclusivement avec la bénédiction divine:

« Etourdis, nous menons notre vie au hasard,
Ignorants, balbutiants et sans penser.
La Volonté Divine a saisi la nôtre,
Et la garde soigneusement
Loin de nous. »

On peut parler de sagesse à la lecture de « Le miel trouble du matin » mais d’une sagesse hypothétique. Le lecteur a parfois l’impression qu’il suffirait de très peu pour parvenir à l’harmonie universelle. La vie trahit parfois l’élan divin et la paix universelle. Il faut en prendre acte:

« Si le bruit des voitures n’existait pas,
Pour troubler la paix de la nuit tombante,
Si l’oiseau effaré qui s'élance à toute vitesse
sur les eaux n’existait pas,
Ou les gouttes tardives de pluie
Jouant du tambour sur la planche mouillée,
Nous croirions que la divine harmonie
Est descendue avec la nuit sur la terre. »

Traduire ce recueil avec Flavia a été un enchantement pour moi. Nous avons travaillé en symbiose. Nous avons cherché sans cesse à préserver la musicalité de la langue mais jamais au détriment du sens. Heureusement, le roumain et le français étant deux langues romanes, je pense que nous y sommes parvenus sans trahir l’original. Que Flavia soit ici remerciée de la confiance qu’elle m’a accordée. Jamais je n’aurais entrepris ce travail en sa compagnie si je n’avais pas d’abord apprécie –et je dirais même aimé- son écriture.

Denis EMORINE

Denis Emorine est né en 1956 près de Paris. Il a avec l’anglais une relation affective parce que sa mère enseignait cette langue .Il est d’une lointaine ascendance russe du côté paternel. Ses thèmes de prédilection sont la recherche de l’identité, le thème du double et la fuite du temps. Il est fasciné par l’Europe de l’Est. Poète, essayiste, nouvelliste et dramaturge, Emorine est traduit en une douzaine de langues ; Son théâtre a été joué en France, au Canada ( Québec) et en Russie. Plusieurs de ses livres ont été traduits et édités aux Etats-Unis. Il collabore régulièrement à la revue de littérature "Les Cahiers du Sens". Il dirige deux collections de poésie aux Editions du Cygne. En 2004, Emorine a reçu le premier prix de poésie (français) au Concours International Féile Filiochta. L’Académie du Var lui a décerné le « prix de poésie 2009 »

On peut lui rendre visite sur son site: http://denis.emorine.free.fr