Le miel trouble du matin
par Flavia Cosma


L’été impossible

L'été impossible
Fermenté, l'air s'ensable,
cela sent comme si la ville
S'était déplacée comme par miracle,
Au bord d'un lac.
Des mouettes aux plumes ébouriffées
S'endorment sur des pavés brûlants.
Les miasmes pesants nous transportent brutalement
Sur les rives d'autres continents ;
Nous revoyons en pensée les lacs ténébreux,
Les épidermes dorés respirant des désirs,
Les cieux mous, oranges, bleus,
Les tristesses profondes, les plaines vastes.

Pont franchissant le monde,
Cet amour étranger
Me dévore sauvagement
Avec sa grande absence.

Les dernières feuilles

Les deux dernières feuilles de vigne
Tombèrent sans bruit de grand matin,
A l'échelle universelle rien de changé ;
Seulement au désarroi de l' automne se sont ajoutées
Une question ou deux.

Nous marchons au milieu d'un tas de feuilles rouillées,
Marqués de noir, comme pour en tenir compte,
La chevelure dorée du vieux peuplier,
Sa crinière que le vent secoua en jouant,
Gît abattue sur terre.
Les érables majestueux sanglotent, jaunis,
Malades eux-mêmes de phtisie,
Et il pleut.

Nous guettons anxieusement l'hiver,
Et l'hiver nous guette aussi à chaque coin,
Avec son sac plein d'infirmités et de péchés,
Comme un Papa Noël malicieux
Descendu trop tôt de son livre.

Absence

D'absence en absence,
J'ai noyé la couleur de tes yeux,
Bleu désirs—dans le puits de l'oubli.
J'ai dispersé les chuchotements, les papillons
Dans le souffle du vent de février,
Et j'ai placé tes mains ensemble,
Sur les seins de glace.

Et aujourd'hui, quand je regarde
Vers les bouches du chemin,
La neige coule toujours de tes paroles,
Comme une faible lumière à travers les branches,
Comme un signe lointain,
Une timide négation.

Le premier jour de l'an

Le premier jour de l'an était
Enveloppé de paix ;
Une paix sans fin, coulant du ciel.

Nous nous arrêtions en chemin
Pour regarder nos pas
Abandonnés sur la couverture molle,
Et refléchir à notre passage sur la terre,
Pendant que nos traces s'effaçaient
lentement,
Sous la neige blanche, innocente.

Passant par le feu

L'enfant était alité à l'hôpital ;
Il a traversé le feu et personne
N'a pu lui enlever
Le feu sur ses épaules.

L'enfant s'est éteint à l'hôpital ;
Le soleil s'est écoulé
Goutte après goutte, lentement,
Dans la mer.

Et à la fin—
Quand toutes ces choses ont cessé d'exister,
J'ai vu l'enfant de l'autre côté ;
Il n'était plus un enfant,
Mais il n'était pas lui-même non plus :
Il était quelqu'un qui avait traversé le feu
Et s'était retrouvé seul.

Amour temporaire

Amour temporaire, comme une feuille qui tombe
Sans le vouloir et sans le comprendre,
Comme une larme qui s'attarde
dans l'oeil ensommeillé,
Ou le vent qui souffle par-dessus les murs et les roches,
En les embrassant imparfaitement,
Avec son haleine ambiguë, fragile.

Cachée derrière de grands rideaux,
La brume blanchie se colle aux vitres,
Habille le monde en vêtements de rêve,
Comme un enfant peignant sans s'en apercevoir
Des tableaux bouleversants
Avec des anges.

Je reviendrai

Je reviendrai, avec le visage d'or,
Caché sous la manche de mon vêtement,
Pour t'en faire cadeau,
mon amour,
Pendant les soirs révérencieux de printemps.

Je reviendrai avec le visage d'argent,
Caché sous mon tablier,
Pour t'attirer
mon amour,
Avec des contes de fées lointaines, mensongères.

Comme une larme, la lune glisse
Sur le bras de pierre.
Avec ses étés accablés sous des herbes non fauchées,
Le destin attend.

Jusqu'alors,
Jusqu'à ce que le temps arrive,
Je regarde longtemps cette vieille plaie,
Et le sang coulant à flots à nos pieds,
Nous tient lieu de paroles.